François furet, le travail de l'oeuvre

Marcel Gauchet participera à la 4e journée annuelle des doctorants en études politiques de l’EHESS entièrement consacrée à François Furet.

Vendredi 8 juin 2007

Amphithéâtre de l'EHESS

105, bd Raspail 75006 Paris

Métro : Saint-Placide (ligne 4) ou Notre-Dame-des-Champs (ligne 12)

L’œuvre de François Furet (1927-1997) a renouvelé non seulement l’historiographie de la Révolution française mais également la pensée politique. Les thèmes qu’elle explore — le travail de l’égalité, l’idée démocratique, les passions idéologiques — restent inséparables de notre actualité politique. Pourtant, les dix années qui se sont écoulées depuis la mort de François Furet ont été marquées par de profonds bouleversements. Son œuvre, qui sera la matière première de nos travaux, peut-elle encore fournir un éclairage sur notre situation politique présente ?

Cette journée d’études fera dialoguer des chercheurs contemporains de François Furet, dont certains ont travaillé et débattu avec lui, avec des jeunes chercheurs qui ne le connaissent qu’à la lecture de ses livres et de ses articles. Les uns et les autres partagent avec François Furet cette façon de considérer « l’expérience du passé » (Ran Halévi) pour penser politiquement le présent. Ils ont en commun le souci de faire du « travail de l’œuvre » (Claude Lefort) le fondement de toute discussion honnête et éclairée.

Programme

9h00 : Ouverture de la journée par Mona Ozouf (CNRS)

9h30 - 11h - Table ronde : françois Furet dans l'atelier de l'histoire

Avec Bronislaw Baczko (Université de Genève), Krzysztof Pomian (CNRS), Pierre Hassner (CERI/FNSP) et Jacques Revel (EHESS) Animée Julien Barroche, doctorant à l’IEP de Paris

11h 30 - 13h - Pour un dialogue transatlantique
Ran Halévi (CNRS) : France-Amérique : les ambiguïtés du dialogue révolutionnaire Laurent Bouvet (Université de Nice) : L’Amérique de François Furet
Animée par Crystal Cordell-Paris, doctorante à l’EHESS

14h 30 - 17h - Les totalitarismes du XXe siècle

Philippe de Lara (Ponts et Chaussées) : François Furet et le concept de totalitarisme
Paul Zawadzki (Université Paris-I) : Le complot et l’imaginaire démocratique du pouvoir
Discutant : Marcel Gauchet (EHESS) Animée par Diego Vernazza, doctorant à l’EHESS

17h 30 - 19h - La France entre passions révolutionnaires et passions démocratiques

Avec Antoine Foucher (Sénat), Philippe Raynaud (Université Paris-II, Institut universitaire de France) et Pierre Manent (EHESS)
Animée par Jean-Vincent Holeindre, doctorant à l’EHESS

Conclusion par Pierre Nora (EHESS),

de l’Académie française

imprimer le programme de la journée

Bilan d'une séquence politique

Europe 1, 26/05/2007

Marcel Gauchet était l’invité samedi matin de l’émission de Dominique Souchier sur Europe1, C’est arrivé cette semaine.

Gauchet: Europe 1, 26/05/07

Dominique Souchier : Marcel Gauchet, merci d’abord d’être là parce qu’on ne vous avait pas entendu depuis l’élection présidentielle. Vous observez la vie politique mais vous êtes philosophe donc vous la regardez forcément autrement que ceux qui la font et même que nous les journalistes. Qu’est-ce qui n’était pas prévisible ? Qu’est-ce que vous, vous n’aviez pas prévu de ce qui est arrivé dans notre pays depuis un mois ?

Marcel Gauchet : Ce qui n’était pas facile à prévoir c’était d’abord le creusement de l’écart entre les deux camps. Tout les bons observateurs, tout les bons analystes prévoyaient une élection serrée et en fait l’élection a été non pas une élection de maréchal mais tout de même une élection avec une différence très considérable en faveur de Nicolas Sarkozy. Je crois que, honnêtement, très peu d’observateurs sérieux s’y attendaient.

D.S. : Cela tient à quoi ?

M.G. : Cela tient, je pense, essentiellement à ce qui s’est révélé dans la dernière ligne droite contre toutes les prévisions : la faiblesse de la candidate socialiste Ségolène Royal. Là aussi, les prévisions des bons observateurs allaient plutôt dans l’autre sens en se disant que Sarkozy serait fort au premier tour et aurait des problèmes au second tour parce qu’il n’avait pas de réserves à droite et que, d’une certaine manière, il avait contre lui une coalition de rejet; alors que Ségolène Royal incarnait le projet d’avenir que le socialisme a toujours pour vocation d’incarner, qu’elle était beaucoup plus consensuelle et qu’elle avait pour elle le vote femme. Rien de tout cela n’a fonctionné. Au contraire, Sarkozy a dynamisé sa campagne dans ce deuxième tour quand, en revanche, Ségolène Royal s’est un peu affaissée et n’a pu convaincre.

D.S. : je suis un peu surpris de votre réponse parce que je vais lire ce vous dîtes cette semaine dans l’hebdomadaire Le Point. Vous commencez par saluer la grande partition qu’ont jouée les principaux candidats et vous ajoutez ceci : « Ségolène Royal est apparue comme une égolâtre, François Bayrou a semblé franchement mégalomane, et Nicolas Sarkozy donne l’impression d’être légèrement "agité du bocal". » Là, ils sont à égalité ?

M.G. : Sur ce chapitre ils sont à égalité. Ils sont d’ailleurs à égalité sur ce qui a été la très bonne qualité globale de la campagne en terme de propositions politiques. Ce n’est pas par hasard qu’un nombre aussi important d’électeurs sont allés voter, à la surprise générale là aussi.

D.S. : Cela tient à eux ?

M.G. : En grande partie mais pas uniquement. Cela tient à la dramatisation d’une élection qui était la première « vrai » élection présidentielle depuis douze ans puisque, en fait, le peuple souverain a été volé de l’élection en 2002. On peut dire que cela a été une élection où les candidats, les uns et les autres, ont offert aux citoyens de quoi se mobiliser.

D.S. : Marcel Gauchet, Nicolas Baverez dit dans Le Point qu’avec l’élection de Nicolas sarkozy et ce qu’il fait depuis qu’il est élu, « on est entré dans la VIe République. On se retrouve dans un régime franchement ouvertement présidentiel ». Jacques Attali parle dans L’Express de « monarchie quinquennale ». Vous êtes d’accord ?

M.G. : On va voir. C’est un peu tôt pour le dire. Cela en prend l’allure sauf qu’il faudra voir comment fonctionne ce système présidentiel. Est-ce qu’il s’agira d’une présidentialisation de la communication, l’exécution étant confiée malgré tout au Premier ministre avec sa prose, ses conflits et ses négociations compliquées? Est-ce qu’il va s’agir carrément d’une prise en charge de la conduite de la politique dans tout ses aspects par le Président de la République ? C’est ce qu’on va voir au court des mois qui viennent.

D.S. : Vous qui avez écrit il y a plus de vingt ans dans votre revue Le Débat « Les droits de l’homme ne sont pas une politique », qu’est-ce que vous pensez de la nomination de Bernard Kouchner comme ministre des Affaires étrangères et européennes ?

M.G. : Je n’en sais rien parce que j’attends de voir. Je n’ai pas vu d’ailleurs que Bernard Kouchner a déclaré qu’il était le ministre des droits de l’homme et des affaires étrangères en plus des Affaires européennes. Donc, que va être la politique étrangère de la France ? C’est une des plus grandes inconnue. Est-ce qu’il va y avoir un véritable changement par rapport à la realpolitik gaulliste que Jacques Chirac et François Mitterrand en fait avaient globalement maintenue avec des inflexions ? Est-ce qu’on va entrer dans une nouvelle politique plus atlantiste, Bernard Kouchner était partisan de la guerre en Irak, d’un rapprochement avec les Etats-Unis et d’une inflexion très significative en direction d’une politique des droits de l’homme ? D’ailleurs, on ne voit pas très bien la cohérence parce que la politique des droits de l’homme de la part des américains en Irak je ne la discerne pas vraiment. Tout cela me semble encore très confus.

D.S. : André Glucksmann qui se trouvait à votre place samedi dernier disait qu’enfin le Quai d’Orsay qui était comme en autarcie, il disait même en « extra-territorialité », va enfin en sortir et qu’on va enfin pouvoir vraiment débattre de la politique étrangère.

M.G. : Ca c’est la pure fiction des débuts de règne. On nous promet ça à chaque fois. Chacun sait bien qu’en France le thème des élections présidentielles est « je vais vous rendre le pouvoir ». « La France présidente » disait Ségolène Royal. Rassurez-vous, le domaine réservé fonctionne immédiatement et à grande vitesse. Alors sur quelle modalité cela va se faire, on le saura avant longtemps mais j’ai les plus grands doutes sur la grand débat sur la politique étrangère. On commence d’ailleurs sur les chapeaux de roue : un traité européen simplifié, négocié dans la coulisse et soustrait au suffrage des citoyens. Donc je crois que rien n’a changé sur ce chapitre.

D.S. : On va reparler du traité simplifié mais l’ « ouverture » vous paraît aussi à ranger dans les gadgets politiques ?

M.G. : Vieille ficelle, usée jusqu’à la trame. Qui ne sait parmi les citoyens qu’il y a toujours de grandes consciences à vendre pour pas cher.

D.S. : Vous y allez !

M.G. : comment voulez-vous appeler cela ? Je crois que personne n’est dupe de ce genre de ficelle. Cela sème vaguement le trouble surtout dans les consciences militantes mais très peu chez les citoyens qui l’accueillent en générale avec un grand scepticisme et qui se rappellent encore que François Mitterrand avait fait une audacieuse ouverture au centre en 1988. Le moins que l’on puisse dire c’est que cela n’a pas profondément marqué la politique française à l’époque. De même, on aura complètement oublié cette ouverture dans quelques mois.

D.S. : Dès lors que les Français ne doivent pas vouloir d’une nouvelle cohabitation, quel objectif doit afficher le Parti Socialiste pour les élections législatives et au-delà de celles-ci ?

M.G. : La mauvaise méthode c’est celle qu’il a adopté qui est de mendier auprès des citoyens un suffrage en disant : « Il faut qu’il en reste un peu pour nous ». Ce n’est pas une bonne ligne politique. S’il se décidait dès à présent à dire qu’il a tiré certaines leçons du suffrage qui vient d’avoir lieu et que ces élections marquent le début d’u processus de renouvellement de son offre politique, il aurait à mon avis de meilleures chances de convaincre.

D.S. : Cela passera là aussi par le renouvellement des générations ?

M.G. : Sûrement. Je crois qu’un des traits marquants de l’affaiblissement du Parti Socialiste c’est que Ségolène Royal à elle seule n’a pas suffi à incarner le renouvellement. Qu’est-ce qu’il y avait autour d’elle qui le représentait ? On allait revoir les même. C’est bien là qu’est la grande question pour le Parti Socialiste dans les prochains mois, dans les prochaines années.

D.S. : Une toute dernière question. Entre ce qu’on a dit au soir du premier tour, « il y a enfin un centre », et ce qu’on dit aujourd’hui, « il n’y a plus du tout de centre », quelle est l’analyse de Marcel Gauchet ?

M.G. : Je n’ai jamais dit : « il y a enfin un centre ». Je n’ai jamais vu dans ce centre incarné par François Bayrou qu’un effet d’optique électoral très momentané qui risquait très peu de déboucher sur une formation politique constituée, solide et permanente.

D.S. : Merci Marcel Gauchet.

M.G. : Merci à vous.

D.S. : Je ne suis pas sûr qu’il y en ait beaucoup qui y ai retrouvé leur compte.

La revanche du réel

Le Point, 24/05/2007

Pour le philosophe et historien Marcel Gauchet, la présidentielle est une «revanche du réel ». les électeurs ont manifesté leur désir intact de politique et veulent que la France se mette à l’heure du monde tout en gardant son identité. Une mission historique qui ne peut, avertit-il, être confié à des dirigeants qui méprisent les citoyens.

Elisabeth Lévy : On pensait que les Français ne croyaient plus à la chose publique et que l’élection se résumait à une sorte de « Star Academy ». L’intérêt suscité par la campagne infirme-t-il ce sombre diagnostic ?

Marcel Gauchet : La première leçon de cette élection fondée sur personnalisation, sur l’inflation du « je » et de l’individualité est que les Français continuent à croire en la politique. On peut saluer les principaux candidats pour avoir joué une partition intéressante. Et souhaiter bonne chance au vainqueur.

Mais jamais des candidats n’avaient aussi ouvertement misé sur la communication et l’image.

La communication n’exclut pas la politique. Dans le cas précis, elle a même fonctionné comme un activateur de politique. De ce point de vue, les deux candidats étaient sur la même ligne de départ. Tous deux ont compris qu’un certain type de discours politique avait perdu toute espèce d’autorité. A partir de ce constat, ils ont suivi deux démarches différentes. Nicolas Sarkozy a proposé une politique d’offre en parlant comme les gens. Ce langage, proche des préoccupations familières de la population, a eu un effet cathartique auprès de l’électorat protestataire qui ne se reconnaissait pas dans la scène politique officielle. Il lui a permis de franchir les frontières de l’extrême droite mais aussi d’une partie de la gauche. « Mon langage est le vôtre » : au service d’une certaine exigence de proximité, la communication a fait la différence avec le style compassé, artificiel, langue de bois, bien-pensant dont Chirac était spécialiste. De son côté, Ségolène Royal a parlé le langage de la demande : « Dites-moi ce que vous voulez entendre et je le dirai. » En dépit du fait qu’elle a séduit, suscité un grand intérêt, c’est la proposition volontariste qui a eu du succès.

Du Fouquet’s au « Paloma », les débuts de Nicolas Sarkozy ne reflètent pas vraiment une communication au service des « préoccupations familières des gens ». A-t-il commis une erreur ?

Apparemment, cela n’a pas eu d’impact immédiat. Les Français sont concentrés pour le moment sur des échéances plus importantes à leurs yeux. Ils attendent pour juger.

On peut aussi se réjouir qu’il n’y ait pas eu de vote féminin malgré l’injonction cent fois réitérée de choisir une femme comme preuve de la modernité française.

Oui, les Français sont restés égaux à eux-mêmes. Une femme, pourquoi pas – et elle a été traitée avec déférence. Mais cela n’a pas été un élément déterminant du choix. La République est toujours bien là, dans les esprits.

La participation massive que bien des pays nous envient traduirait donc un désir de politique ?

Alors qu’il n’y avait pas eu de véritables élections depuis douze ans, cette échéance à haute teneur politique a été l’occasion d’une dramatisation sans drame. Les Français ont confusément senti qu’on avait changé d’époque. « On ne peut pas continuer comme avant » : cette idée s’est imposée dans les têtes. Or, à tort ou à raison, les deux candidats apparaissaient comme nouveaux. Il est vrai qu’à 50 ans, pour la gérontocratie française, on sort de l’école maternelle : dans les critères de la culture locale, Royal et Sarkozy incarnaient une fraîcheur juvénile.

Cela fait pourtant des années qu’une partie des élites répète que le monde change pour convaincre les Français de renoncer à toutes spécificité. Est-ce vraiment ce qu’ils souhaitent ?

Ils veulent que l’on mette la France à l’heure du monde mais en la gardant comme la France. Jusque-là, malgré la rhétorique de l’adaptation, les Français ont choisi d’ignorer la mue du monde engagée depuis les années 70, aidés en cela par une série d’illusionnistes. Giscard d’Estaing a usé de tout son zèle pour leur épargner les douleurs du monde en train de naître, d’où sa maxime favorite : « C’est vrai, mais il ne faut pas le dire. » François Mitterrand a réussi à camoufler le sens de l’échec de la politique menée entre 1981 et 1983 et à faire passer la construction d’une Europe où la France était vouée à se dissoudre pour la réalisation du socialisme qu’on n’avait pas pu instaurer dans un seul pays : c’est ce que nos socialistes ont, avec une remarquable obstination, appelé l’Europe sociale. Avoir fait croire que l’adoption de la monnaie unique allait ouvrir sur ce paradis social représentait une performance inouïe. Quant à Chirac, il a maintenu le gaullisme dans ce qu’il a d’essentiel à ses yeux, la politique étrangère, et pour le reste, il pensait que son rôle était de faire du social, c’est-à-dire de continuer à épargner aux Français l’horrible vérité, notamment en passant son temps à dire le contraire de ce que faisait le gouvernement.

Du social et du moral…

Le politiquement correct était destiné à faire oublier le reste. Mais l’effet de dissimulation est épuisé. Le pays est prêt à chercher une version française du nouvel état du monde. Dans cette perspective, l’enjeu essentiel de cette élection n’était pas l’enjeu droite/gauche. La suite nous montrera le degré de sincérité de la conversion du président au discours qui a été le sien au cours des derniers mois.

Récusez-vous l’idée que ce scrutin traduirait la « droitisation » de la société française ?

Le candidat de l’UMP a tenu un discours national, pas un discours de droite. C’est ce qui a attiré des électeurs habituellement à gauche qui ont voté contre le PS. C’est en cela que l’amateurisme de Ségolène Royal a pesé : beaucoup en ont conclu que, si elle gagnait, les caciques allaient gouverner. Elle n’était pas de taille à nous protéger d’un parti qui ne s’est pas guéri du mitterrandisme et se refuse à regarder la société telle qu’elle est. Le sens de cette élection est donc à la fois infra-politique- retour au réel – et métapolitique – au-delà du clivage droite-gauche.

On peut déjà s’interroger sur la cohérence entre le discours et les actes. En proposant le Quai d’Orsay à Védrine avant de le donner à Kouchner, le président n’a-t-il pas montré qu’il cherchait à faire des coups ? D’autre part, la personnalité de Kouchner est-elle compatible avec le discours néogaullien de la campagne ?

C’est ici que les limites de la com se révèlent. Du point de vue de la com, Védrine et Kouchner, c’est équivalent. Du point de vue de la pratique de gouvernement, c’est le contraire. Or il ne s’agit plus de faire campagne, mais de gouverner. Une tout autre affaire.

On a aussi beaucoup dit que la situation de la France était tellement catastrophique que cette élection était imperdable pour la gauche. N’exagère-t-on pas la gravité du mal ?

Quand on est vaguement malade et qu’il ne se trouve aucun médecin à l’horizon, on a le sentiment d’être mourant. En l’absence de recours, alors que les élites paraissent sourdes, muettes, aveugles, ailleurs pour les plus cyniques, incompétentes pour les autres, on tremble. D’où le besoin de politique. Le réflexe de protestation légitime qui semblait rendre ces élections imperdables pour les socialistes a été annulé par la perception de la réalité mondiale extérieure. Giscard d’Estaing a parlé d’une élection « tous volets fermés ». Je dirais plutôt qu’elle a été intensément introvertie en ceci que les Français se demandent avant tout ce qu’ils vont devenir dans ce monde-là. Mais ils n’en ressentent pas moins le besoin impérieux de rompre avec le refus de voir, de savoir, de comprendre à l’œuvre depuis vingt-cinq ans car ils savent qu’on ne peut pas couper à la mise à niveau. Or le PS n’a rien à dire sur le nouvel état du monde sinon que « ce n’est pas bien ».

Seulement, depuis des années, quand on parle de réforme, les Français comprennent, et à raison, que les classes moyennes vont trinquer tandis qu’on laissera tranquilles les plus privilégiés. N’y a-t-il pas un problème de répartition des efforts demandés ? Après tout, ne faudrait-il pas faire un peu « payer les riches » ?

Il n’y aurait rien de plus simple que d’ouvrir les frontières à tous les vents et d’accompagner la vandalisation générale, mais ce n’est pas du tout ce qui est demandé. Les réformes ont été refusées parce qu’elles étaient mal fichues et qu’elles semblaient à la fois inefficaces et inéquitables. Le problème est de trouver une méthode qui les rende convaincantes pour la majorité. Ce n’est pas à des gens qui méprisent les citoyens qu’il faut demander de conduire les réformes.

Il existe peut-être une réponse « de gauche » à la mondialisation. N’est-ce pas le sens de la promesse social-démocrate formulée par Dominique Strauss-Kahn ?

A un niveau très global, le modèle européen se caractérise par l’existence de dispositifs de compensations sociales aux dégâts de l’économie et de la vie. Dans un sens plus spécifique, le cœur de la social-démocratie, c’est le fonctionnement de la vie publique autour de la négociation permanente des forces sociales. On ne voit pas très bien ce que cela peut signifier dans un pays où seuls 8% des salariés sont syndiqués. Et je ne commenterai pas la proposition de Ségolène Royal de rendre obligatoire l’adhésion à un syndicat, qui est du niveau de son idée géniale de brigades de raccompagnement des femmes policiers.

Sans adhérer aux syndicats, les Français acceptent qu’ils soient les gestionnaires de certains dispositifs sociaux.

Peut-être, mais ils sont en position de faiblesse quand il s’agit de négocier les salaires ou les conditions de travail, notamment dans le privé. Surtout, on méconnaît l’ampleur des bouleversements que les social-démocraties du nord de l’Europe ont acceptés en vingt-cinq ans. Les pays érigés en modèles ont mis en œuvre une réforme de l’Etat qui a tout d’une révolution. Or, sur ce point essentiel, la gauche française n’a rien à dire. En Suède, la fonction publique est aujourd’hui limitée aux fonctions régaliennes : armée, justice et police. Le contrat de travail d’un enseignant est le même que celui d’un employé de supermarché. Nombre de fonctions gouvernementales ont été déléguées à des agences indépendantes, les services publics (postes, transports) ont connu une privatisation à peu près totale. Imaginez le tollé qu’un projet de ce type déclencherait en France. Bref, les socialistes vendent du vent.

Dans ces conditions, le PS risque-t-il de connaître un lent déclin comparable du PC ?

L’organisation classique du PS en courants idéologiques est obsolète. Conformément à sa sociologie, il va devenir un syndicat d’élus spécialisés dans les scrutins locaux et disposant de clientèles d’intérêt local. Dès lors qu’il est fondamentalement le parti du statu quo, il n’est pas compétitif pour l’élection présidentielle qui se joue toujours sur un projet de transformation. Les législatives risquent d’être un peu difficiles, mais les socialistes garderont un bon nombre de députés car il font bien le boulot localement. Surtout, d’ici un an, ils bénéficieront d’une extraordinaire fenêtre de vulnérabilité : les municipales pourrait voir une sévère dérouillée du sarkozysme. Bref, le PS peut parfaitement être l’opposition de sa majesté et le gestionnaire des collectivités territoriales : un pouvoir considérable greffé sur une fonction publique territoriale nombreuse et en pleine croissance. Cela rend d’ailleurs parfaitement grotesque le mot d’ordre de non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux. Au final, cette division politique des tâches qui installe les socialistes comme grand-duc de Bourgogne ou prince d’Aquitaine leur convient sans doute parfaitement.

Cela signifie-t-il que le clivage droite-gauche est désormais dépourvu de toute pertinence ?

Le clivage droite-gauche est très affaibli en termes de forces politiques, mais il demeure un repère dans la tête des gens. Ce qui a changé, c’est que la France s’est convertie au pluralisme : la guerre civile froide est terminée. Les appartenances monolithiques à un camp identifié au bien ou à la lumière n’ont plus cours. On peut très bien être de gauche en raison de l’orientation générale que l’on pense souhaitable pour la société et voter à droite. Les identités politiques n’ont pas disparu, mais on en fait un usage beaucoup plus libre. Sarkozy l’a parfaitement compris, d’où son « ouverture ».

L’échec de la diabolisation de Sarkozy est-il à mettre au compte de cette nouvelle donne ?

La diabolisation de Sarkozy, très bobo et très lyrique, reflétait une certaine contradiction : pour les uns, il était facho ; pour les autres, dingo. En réalité, les trois principaux candidats suscitaient une certaine inquiétude quant à leur équilibre psychique. Ségolène Royal est apparue comme une égolâtre, François Bayrou a semblé franchement mégalomane, et Nicolas Sarkozy donne l’impression d’être légèrement « agité du bocal ». On redoute de le voir exploser quand il ne faudrait pas. Mais c’est comme le coup de boule de Zidane : cela témoigne de son humanité plutôt que de sa méchanceté. Il fait un peu peur, non parce qu’il va tous nous mettre au trou, mais parce qu’il est capable de « péter les plombs ».

Reste que les bons sentiments ont toujours cours, notamment en matière d’immigration, une certaine gauche dite morale continuant à réclamer l’ouverture des frontières.

Ceux qui tiennent ce discours sont en mesure de se faire entendre, ce qui lui confère un rôle social important. Mais il n’intimide plus personne. Il y a aujourd’hui un refus général de l’angélisme et des bons sentiments. L’affaire de la gare du Nord a été un moment-clé car elle a cristallisé le report des voix frontistes sur Nicolas Sarkozy. La fraude est l’expérience la plus familière des gens qui prennent le RER ou le train de banlieue, alors on n’allait pas les apitoyer en leur expliquant, ainsi que l’a fait le PS, que le coupable n’avait pas été arrêté vingt et une fois mais seulement sept. En tenant des discours déconnectés de la réalité, les élites ont perdu toute autorité et ouvert un boulevard à Nicolas Sarkozy.

Revenons sur l’idée d’un triomphe des valeurs « de droite ». Après s’être laissé déposséder de la nation avant-hier et de la sécurité hier, la gauche a-t-elle renoncé au travail ?

J’ai sous les yeux une étude publiée par L’Humanité. Quand on demande aux sympathisants de gauche quels termes représentent quelque chose de positif à leurs yeux, le travail arrive en troisième place (80%), après la culture et le progrès. Seuls des gens issus de la méritocratie républicaine la plus dure du monde et travaillant eux-mêmes 60 heures par semaines peuvent mépriser à ce point le travail et le mérite. Dans les profondeurs du pays, le problème des gens est d’avoir un travail, pas de travailler moins. Tout le monde sait bien que c’est à travers le travail qu’on construit sa liberté. Je ne vois pas là la moindre droitisation.

A gauche on réplique que Sarkozy jette l’opprobre sur les chômeurs, taxés de paresse. Il s’est en tout cas insurgé contre un certain assistanat.

Personne n’a prétendu que les chômeurs étaient tous des paresseux. En dehors du 6e arrondissement, toute la société française sait que les incitations à reprendre un emploi pour les chômeurs sont anormalement faibles et que les vrais damnés de la terre sont les travailleurs pauvres qui bossent mais gagnent moins que ceux qui cumulent diverses allocations. L’une des missions historiques d’une gauche sensée aurait été de remettre à plat tout le système de protection qui aboutit de fait à dévaluer le travail, au lieu de quoi on a observé la dérive du système d’assistance que les socialistes ont promu de façon irresponsable.

En tout cas, le président va devoir affronter les contradictions internes de sa base sociale. Va-t-il être ultralibéral ou protecteur, atlantiste ou gaulliste ?

Les deux partis vont avoir de sérieux problèmes avec leur base. Le PS représente l’alliance contre nature des bobos des centre-villes et des assistés des périphéries ; ce mélange n’a pas vraiment réussi au Parti démocrate américain. Quand à Sarkozy, « élu du CAC 40 », il est aussi celui de 49% des employés et de 46% des ouvriers. En fait, il va devoir gérer les contradictions entre les intérêts de trois clientèles : les élites mondialisées pressées de passer au libéralisme « comme tout le monde », les gens « d'en bas » qui attendent d'abord une protection dans leur quotidien, et enfin les classes moyennes qui espèrent le maintien de leur position, sans doute le plus difficile à réaliser dans le contexte de la mondialisation. Et toutes ces familles sont traversées par la contradiction entre libéralisme et identité nationale. Nicolas Sarkozy est le seul à avoir parlé de protectionnisme européen, mais ce ne sera pas simple de faire avaler cette idée à Alain Minc.

Cette campagne a peut-être marqué la fin d'une autre exception française, celle qui protégeait la vie privée des responsables politiques. On peut s'en désoler, mais peut-on y échapper ?

On ne reviendra pas en arrière. C'est la rançon de la conjonction entre proximité et personnalisation. Tout le monde se fichait des relations entre le général de Gaulle et son épouse, car c'était l'acteur de l'Histoire qui intéressait. Mais Nicolas Sarkozy n'a pas joué le moindre rôle historique. Pour comprendre la logique du type qui gouverne, il reste la personne privée. De plus, dans un contexte d'émancipation des femmes, la personne avec qui vit un responsable a de l'importance. Dès lors qu'il n'y a ni grandes doctrines ni circonstances historiques exigeant des héros, il faut se résigner à la curiosité du public pour la vie domestique de ses dirigeants. Maintenant, il existe différentes façons de gérer cette curiosité.

Finalement, les Français valent-ils mieux que leurs élites ?

C'est ma conviction depuis longtemps. Pascal a tout dit sur la question : les demi-habiles qui se croient malins se prennent les pieds dans leurs subtilités tandis que le peuple, qui ne sait pas tout, ne se trompe pas sur l'essentiel. La politique est restée pascalienne et c'est assez rassurant.

La leçon des sauvages

France 5, dimanche 4 décembre 2005

Quelques semaines après la parution de son livre La condition politique, Marcel Gauchet a répondu pendant 10 minutes aux questions de Frédéric Ferney qui le recevait dans son émission littéraire sur France 5. Extrait de l’émission :

Frédéric Ferney : Marcel Gauchet, vous êtes historien et philosophe. Vous ne voulez surtout pas être un maître à penser ( la place est vide) ni un gourou (ceux-là sont nombreux) mais vous êtes un des rares intellectuels français à embrasser la totalité, la complexité du présent, à essayer d’élucider les paradoxes de nos sociétés démocratiques et à poser des questions avec une véritable vue de l’avenir. C’est quoi comme métier ?

Marcel Gauchet : C'est très classique. Il y a un certain nombre de gens qui depuis pas mal de siècle se sont occupés de faire cela. En France tout particulièrement.

F.Ferney : C’est ce qu’on appelle un « intellectuel » ?

M.Gauchet : Cela a pris un temps le nom d’« intellectuel » mais je ne le revendiquerais pas personnellement puisque je ne me mêle pas d’intervenir sur la scène publique pour commenter l’actualité. Prenons quelques exemples. Je ne veux surtout pas m’autoriser de grandes figures dont je suis bien conscient de l’écart qui m’en sépare. Montesquieu, Tocqueville et plus près de nous quelqu’un comme Raymond Aron, c’est une lignée qui en France a toujours eu des illustrations et il y en a beaucoup d’autres. J’essaie de m’inscrire dans ce fil là.

F.Ferney : Dans La condition politique, il y a un chapitre qui s’appelle « Politique et société: la Leçon des sauvages ». Qu’avez-vous appris des sociétés primitives, ces sociétés sans histoire et sans Etat, qui contribue à l’intelligence des sociétés démocratiques ? Qu’avez-vous appris plutôt des ethnologues qui parlent des « sauvages » ?

M. Gauchet : Le plus grand évènement intellectuel du XXe siècle en profondeur, dans la compréhension des sociétés et dans la compréhension de l’humanité en générale, c’est ce que nous ont appris les ethnologues de terrain. Ceux qui ont été voir fonctionner ces sociétés d’avant l’Etat, extraordinairement lointaines de nos repères, en Australie, en Amérique, en Nouvelle-Guinée et dans d’autres contrées. Ils nous appris à reconnaître l’humanité pleinement constituée dans ces univers de civilisation si éloignés de nous. Justement, la notion de « sauvage » est ironique. Elle renverse le regard spontané. Ces « sauvages » sont extrêmement civilisés. L’Humanité à vécu selon des normes et des formes aux antipodes de celles qui nous sont familières et sur la plus longue durée de son histoire. Nous avons l’habitude de raisonner sur 5000 ans d’Histoire, celle que nous connaissons par l’écriture.

F. Ferney : C’est déjà pas mal.

M. Gauchet : Mais c'est très petit à l’échelle de la durée humaine. La cécité de nos sociétés et des gens qui les dirigent c’est de raisonner sur un temps extraordinairement court et d’être, du coup, en permanence surpris par le changement. Ils ne comprennent en gros rien à ce qu’il se passe parce qu’ils ne comprennent même pas les sociétés dans lesquelles ils sont. Sans parler de la très longue durée des processus dans lesquels ils s’inscrivent. Je crois que justement nous avons besoin d’une intelligence en profondeur du mouvement de nos sociétés et de la comparaison avec les sociétés les plus éloignées. Je crois que nous avons appris là quelque chose de déterminant dans le décentrement par rapport à nos habitudes de raisonnement.

Thérèse Delpech [directrice des études et de la prospective au Commissariat à l'énergie atomique. Chercheuse au Ceri, elle est spécialiste des questions de prolifération nucléaire et des questions de sécurité internationale] : Ce qui est admirable dans votre livre c'est qu'il réunit un ensemble d'articles qui portent sur trente ans de travail et qu'il montre la continuité d’un certain nombre de grandes questions dans votre réflexion. Est-ce que vous pourriez nous dire quelque chose sur un des thèmes qui me semble les plus intéressant de votre réflexion, celui de la relation entre le religieux et le politique. Est-ce que vous pourriez nous dire quelque chose de ce thème particulier dans les sociétés dites primitives ?

Frédéric Ferney : Et en particulier, pourriez-vous nous expliquer cette phrase qui est souvent mal comprise quand vous dites : « Le christianisme est la religion de la sortie de la religion » ? qu’est-ce que cela veux dire ?

Marcel Gauchet : Pour le dire très sommairement, la religion peut tenir lieu de politique. C’est cela la « leçon des sauvages ». L’Humanité a commencé par la religion. Elle en est venue petit à petit à la politique. Dans cette complexe évolution, le christianisme a en effet joué un rôle très particulier en permettant dans la très longue durée, nous sommes ici dans des processus qui prennent des centaines d’années voire des millénaires, la dissociation de la politique et de la religion. C’est le phénomène original du monde dans lequel nous sommes, de l’Occident et de l’Occident seul pour le moment.

F. Ferney : Ce n’est pas toujours très clair car les gens ont l’impression parfois qu’il y a un retour au religieux et un retour au début.

M. Gauchet : Il y a une réaction à l’occidentalisation, ce qui est tout à fait différent. Il n’y a pas un retour du religieux. Evidemment qu’il y a une manifestation du religieux mais il n’y a pas un retour des sociétés à l’organisation religieuse. Simplement, la force de l’Occident est d’arracher les autres cultures à leurs traditions. Faut-il s’étonner qu’elles réagissent ? Je ne le crois pas personnellement. Si justement on avait un regard suffisamment distancié sur ces phénomènes, je crois qu’on comprendrait mieux des convulsions qui nous surprennent en permanence. Les Occidentaux aujourd’hui ne comprennent simplement plus rien aux repères qui sont ceux de la majorité des habitants du globe.

Thérèse Delpech : Au sein même de l’Occident, vous avez tout de même au moins un pays (qui n’est pas un des moindres du monde occidental) où les relations entre le religieux et le politique sont quand même des relations assez différentes que celles que vous décrivez. Je pense aux Etats-Unis actuels.

M. Gauchet : L’Occident moderne a en effet deux pôles très différents : l’Europe et les Etats-Unis. Du point de vue des relations entre le religieux et le politique, L’Europe, avec des hauts et des bas selon les régions et les traditions nationales, est relativement homogène. Les Etats-Unis sont une autre expérience où fonctionne ce phénomène pour nous peu compréhensible d’une société démocratique, et à beaucoup d’égards matérialiste, dans ses principes de fonctionnement coiffée par la religion. Je crois que la première chose que les Européens ont du mal à comprendre c’est cette alliance.

F. Ferney : Cela semble bizarre aux Européens cette alliance entre le libéralisme et le religieux en Amérique.

M. Gauchet : Mais dans l’autre sens, on ne peut pas dire que les états-uniens aient une compréhension spontanée et très poussée de ce qui se passe en Europe qui leurs paraît évidemment une dérive incompréhensible qui l'emmène dans le mur.

F. Ferney : C’est quoi le problème des Européens parce qu’à la fois vous dîtes qu’on est à l'avant-garde d’un processus (la sortie de la religion) et en même temps vous parlez d’un provincialisme des Européens ?

M. Gauchet : Mais nous sommes à l’heure des provincialismes. Le phénomène étonnant dans la mondialisation c’est la convergence matérielle ( les économies, le langage scientifico-technique qui est le même partout) et l’installation générale de provincialismes enfermés sur eux-mêmes. En fait, il y a une convergence économique et une divergence culturelle.

Thérèse Delpech : le provincialisme de l’Europe est un phénomène qui est d’autant plus inquiétant que l’Europe a été éminemment la partie du monde qui n’était pas provinciale historiquement. C’est la partie du monde qui avait des ambitions universelles et qui avait d’ailleurs une présence universelle. Une des choses qui m’a le plus frappée ce sont les textes sur le monde de Paul Valery au début du XXe siècle. Quand on voit la compréhension qu’il avait par exemple de l’Asie et qu’on compare ses écrits avec tout ce qui peut être produit aujourd’hui sur le même sujet, on a l’impression d’une régression vers le provincialisme qui est franchement inquiétante.

Marcel Gauchet: "Aujourd’hui, la conviction c’est « On est tous pareil ! » .

En fait, c’est l’oubli complet des différences."

M. Gauchet : Cela exigerait beaucoup de nuances ce que vous venez de dire mais ce qui est sûr c’est que nous sommes dans une période de fermeture. Pendant l’ouverture du monde de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, période que vous évoquez, on s’efforce de comprendre ce qui se passe. Aujourd’hui, la conviction c’est « On est tous pareil ! » . En fait, c’est l’oubli complet des différences, le refus de les considérer comme significatives. Bien sûr, tout le monde a sa petite tribu, sa petite identité locale, cela n’a aucune importance. Passons par là-dessus, l’important c’est les affaires. Dans les affaires on parle tous le même langage qui est celui de l’argent. Il y a une unité de langage et cela suffit largement. C’est un peu triste et surtout peu efficace parce qu’à la rigueur on vends nos quelques Airbus mais on ne peut pas dire qu’on persuade franchement nos interlocuteurs que nous sommes dans la bonne direction. Après on s’étonne de leurs réactions. Ils achètent mais néanmoins ils n’en pensent pas moins sur d’autres sujets.

Thérèse Delpech : L’Iran et la Chine nous méprisent.

[…]

F.Ferney : La Chine vous fait peur Marcel Gauchet ?

M. Gauchet : Il me semble que la Chine est le vrai Etat voyou aujourd’hui à la surface de la planète. Un aspect qu’on gomme soigneusement parce que les affaires sont les affaires. Je crois qu’on a une alliance tout à fait extraordinaire de fond totalitaire communiste maintenu sur un mode assez particulier combiné à une corruption de système et à un mépris nationaliste de fer du reste du monde, à commencer par les voisins les plus proches.

Commentaires sur Freud

" Freud est une personnalité de son temps avec de forts aspects sectaires, avec de forts aspects autoritaires, avec un style intellectuel aussi qui ne fait qu’une place limitée à l’argumentation à la confrontation rationnelle, on y croit ou on n’y croit pas. Il faut dire de ce point de vue que la psychanalyse inaugure un style intellectuel qui va dominer au moins la première partie du vingtième siècle qui est l’adhésion indiscutée sur une base initiatique où on a eu l’expérience de l’inconscient, donc on a compris les choses qui sont refusées au commun des mortels avec lesquels il est de rien impossible de discuter dès lors qu’il y a ceux qui ont compris et ceux qui n’ont pas compris."
Marcel Gauchet s'exprimant dans le documentaire FREUD, L'EMPREINTE D'UN GENIE
« Si l’on tient que le cœur de l’opération freudienne a consisté dans l’introduction de l’histoire à l’intérieur du sujet individuel – le sujet devenant le produit de son propre devenir à la fois sous l’aspect universel de sa structure et sous l’aspect singulier de ses motifs –, alors on est fondé à penser qu’il s’agit là d’une retombée seconde ou d’une résultante indirecte de la théorie de l’évolution, où le parallèle ontogénèse/phylogénèse a servi de schème générateur »
Marcel Gauchet, L'inconscient cérébral, Le Seuil, 1992

La république aujourd’hui

La revue de l’inspection générale, n°1, Janvier 2004

Marcel Gauchet, est directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales. Il anime la revue Le Débat. Il est également l’auteur d’un certain nombre d’ouvrages, parmi lesquels : Le Désenchantement du monde (1985), La Révolution des droits de l’homme (1989), La Religion dans la démocratie (2000), La Démocratie contre elle-même (2002), La Condition historique (2003).

Jean-Louis Poirier : Nous abordons l’entretien par le thème de la république. Y a-t-il lieu de la définir ? Et par quelle méthode ? Quel peut être son rôle par rapport à la démocratie et à la crise de la démocratie ?

Marcel Gauchet : C’est déjà un très vaste sujet. Je crois qu’il y a tout à fait lieu de définir la république et que la méthode la meilleure pour aboutir à cette définition est non pas de partir de principes abstraits mais de passer par l’histoire, d’autant que nous raisonnons dans un contexte français où la notion de république a sa charge très spécifique.

La république en France, cela prend son plein sens à partir des années 1870. C’est le moment où la république s’enracine comme une forme politique durable, par rapport aux expériences brèves et rapidement subverties par les circonstances qu’avaient été la Ière et la IIème République. La république en France, dans ce contexte précis, c’est la voie française de la démocratie. Elle se définit par rapport à deux repoussoirs qui donnent toute leur charge à la notion. Pourquoi pas la démocratie ? - parce qu’il y a un moment d’équivoque de la démocratie, qui est ce qui sort de la IIème république et du régime plébiscitaire bonapartiste, le Second Empire, dont on oublie trop facilement qu’il se réclame, à sa façon, du principe démocratique. Il laisse subsister le suffrage universel, il le rétablit même dans son ampleur, il représente une captation de la démocratie dans un pouvoir personnel.

La république est donc le régime qui va se définir, sur la même base du suffrage universel, qui est l’élément intangible, par l’opposition au pouvoir personnel. Elle repose sur le refus du pouvoir de type monarchique, qu’il soit représenté par un roi ou, comme dans la tradition bonapartiste du XIXème siècle, par un empereur qui bénéficie d’une légitimité de type démocratique, la légitimité plébiscitaire. S’il y a une démarcation entre l’Empire et la République, c’est ce refus du pouvoir exercé par un seul, dans un style absolu qui met la décision personnelle au dessus des lois. La république renoue en ce sens là avec ce qui était la philosophie fondamentale du moment révolutionnaire de 89, largement dérivée et de Locke et de Rousseau : La république est la souveraineté du peuple matérialisée dans des lois, le pouvoir des lois étant ce qui s’oppose au pouvoir personnel, ce qui implique une grande différence par rapport au système présidentiel américain.

La république en France est d’un style très différent, par les conditions dans lesquelles elle se définit, de ce qu’est le pouvoir “à l’américaine“. Le deuxième élément tout à fait caractéristique

de la république à la française est l’opposition à l’Église catholique.

Celle-ci est alors - il ne faut jamais l’oublier -, en plein “trip”, si je peux m’exprimer ainsi, ultra-réactionnaire. Elle se définit expressément comme “anti-moderne“ avec le Syllabus de 1864. Comble du comble, la déclaration du concile de Vatican I sur l’infaillibilité pontificale achève de faire du catholicisme le principe même de la réaction par rapport à la modernité et aux valeurs de liberté quelles qu’elles soient, liberté de la raison incarnée dans la science, liberté politique incarnée dans le suffrage et liberté historique d’auto-détermination des communautés humaines. Toutes ces libertés sont rejetées par la réaffirmation d’un principe d’autorité. L’Église de Vatican I c’est le conservatoire du principe d’autorité dans sa version maximale, hétéronome. C’est en face de ce défi que le républicanisme acquiert une très forte charge philosophique et même métaphysique qui va durablement empreindre son identité :

la république c’est le régime de la liberté humaine contre l’hétéronomie religieuse. Telle est sa définition véritablement philosophique.

Là aussi, c’est ce qui va différencier profondément la république à la française de l’autre grande république, la république américaine, pour laquelle au contraire l’alliance du principe théologique et du principe de liberté est le phénomène naturel alors qu’en France ils se définissent en antagonisme radical. Ainsi, être républicain dans la France de la fin des années 1870, quand la république devient la république des républicains au sens strict, c’est, je crois, s’insérer dans ce complexe double de représentation de ce qu’est la chose publique, qui spécifie très fortement une identité nationale mais qui a en même temps une vocation universaliste. Dans les deux cas il s’agit non de principes locaux, mais d’une interprétation déterminée par l’histoire, de ce qu’est la bonne forme de traduction de la liberté politique des personnes et des collectivités.

C’est là que l’on peut comprendre comment on a une incarnation historique relativement singulière d’une thématique universelle.

À partir de là, on voit tout de suite par rapport à une question comme celle de la laïcité, ou comme celle de l’école, quels vont être les défis et les difficultés de la forme politique définie de la sorte. Cette république vit très fortement de son opposition à des repoussoirs, elle s’identifie par là. Cela va faire à la fois sa force immense et la mettre, dans un certain nombre de circonstances, en position difficile. La chose essentielle à retenir historiquement c’est le problème auquel la confronte une revendication qui est d’origine dans le programme républicain, la séparation de l’Église et de l’État (et qui donne d’ailleurs son aspect d’aboutissement à la loi de 1905), mais qui représente une difficulté politique considérable : comment poser à la fois la liberté des individus et la supériorité de la chose publique ?

Comment imaginer un État neutre, au-dessus des convictions particulières des individus dont les convictions religieuses et la liberté doivent cependant être garanties ? c’est en réalité un casse-tête et il faut pas s’étonner qu’il ait fallu vingt-cinq ans à la république des républicains pour venir à bout de cette tâche. Ce n’est pas une question d’opportunité au sens vulgaire, ni un problème de rapport des forces, c’est une question de fond aussi bien philosophiquement que politiquement.

J.-L. P. : D’où la question que je voulais vous poser, qui nous ramène à l’époque contemporaine. Pourquoi cette opposition à la religion, en l’occurrence, prend-elle la forme d’une neutralité de l’État ? et comment la chose se présente-t-elle aujourd’hui où l’on parle quelquefois de pluralisme, ou de communautarisme ? Comment la république peut-elle se débrouiller de cela ?

M. G. : C’est sa difficulté en effet. La seule manière de résoudre cette équation, qui consiste à mettre les valeurs de liberté collective au-dessus des convictions particulières, c’est une neutralisation de l’État. Mais cette neutralité est chargée d’une affirmation très puissante dans sa forme d’origine : il existe une possibilité pour les hommes de faire une cité qui ne repose que sur leurs délibérations en commun, y compris pour ceux qui pensent que, ultimement, la source de tout ordre possible parmi les hommes est dans la révélation religieuse. On ne les empêche pas de penser ce qu’ils pensent, mais on leur demande simplement de mettre entre parenthèses, en quelque sorte, les racines religieuses de leur argumentation afin de présenter leurs convictions, dans quelque ordre que ce soit, sous une forme acceptable pour ceux qui ne partagent pas ces croyances.

J.-L. P. : C’est une idée très importante et je crois aussi que c’est un problème. Cela est inconcevable par exemple aux Etats-Unis où la liberté religieuse s’accommode de l’existence de plusieurs, de beaucoup, de multiples religions alors qu’effectivement dans la République française, je ne sais pas s’il faut employer l’imparfait, il semble ou il semblait qu’on demandait en effet à chaque citoyen cette capacité à se mettre au-dessus de ses convictions individuelles.

M. G. : Ce qui a changé, et qui fait que cette formule n’est plus opératoire dans les termes définis à l’origine, c’est que la république a gagné.

L’étonnement des bons observateurs, dès l’époque, a été de voir que finalement les masses catholiques entraient dans la république et s’accommodaient de la séparation ; la hiérarchie catholique y était extrêmement hostile, le peuple catholique y a été globalement très vite assez favorable, au-delà des frictions initiales créées principalement par des maladresses politiques. Et, dans la durée, la république a gagné, c’est-à-dire que le principe religieux s’est dépolitisé. Je crois que c’est une évolution capitale : la croyance religieuse subsiste, bien qu’affaiblie, mais elle a changé de contenu. Très rares sont les chrétiens, au sens large, aujourd’hui, qui croient à quoi que ce soit comme un ordre divin, à la possibilité d’une source théologique d’un ordre politique ; les deux se sont dans leur esprit dissociés. La croyance religieuse porte sur un ordre de choses qui est au delà du politique et du lien social.

J.-L. P. : D’où le problème que posent les religions ou les fidèles des religions qui…

M. G. : …n’ont pas opéré cette conversion ! Il faut bien employer ce terme, il est exactement en situation. C’est une conversion philosophique et métaphysique, de l’intérieur même des religions.

Mais pour la république, cela veut dire que la république “à la française“ a perdu son repoussoir. Elle l’a perdu d’ailleurs sur les deux points : elle l’a perdu sur le front du pouvoir personnel qui n’est plus une menace dans la forme qu’il a revêtue historiquement ; mais aussi, ce qui est plus important encore à mes yeux, elle a perdu son repoussoir religieux. Les catholiques, en particulier, sont dans la république. Du coup le rapport de la transcendance de la chose publique à l’ordre des convictions privées s’est profondément dilué, il n’est plus spontanément intelligible. Et c’est là où la notion de démocratie est effectivement venue contrebattre une certaine notion historiquement très datée de la république qui n’avait plus lieu d’être. Le piège serait de se laisser prendre à un effet d’optique historique : ce n’est pas que la démocratie est destinée à supplanter la république c’est tout simplement qu’une des vieilles définitions de la république est mise en question par son succès, - ce qu’il ne faut jamais oublier. La république n’est pas combattue en tant que république, la république a gagné et quand elle a gagné elle doit changer, elle doit s’adapter dans ses formes, son langage, ses principes aux conditions nouvelles de son exercice. Elle n’a plus devant elle le repoussoir de l’hétéronomie religieuse qui donnait tout son lustre à la cause de l’autonomie humaine, laquelle achevait de prendre sa force du fait de son incarnation dans l’État, autre tradition française venue de très loin à laquelle la république s’est puissamment identifiée, à partir de la IIIème République, ce qui n’était pas le cas auparavant.

Du coup le nouveau défi qui est jeté à l’idée républicaine, c’est de se redéfinir en fonction de cette évolution historique qui retire ses bases à la transcendance de l’État, de la chose publique, de l’intérêt général puisque tout le monde est d’accord sur les principes de base de fonctionnement politique, pour l’essentiel. Il en résulte que le rapport des représentants et des autorités politiques à la société change complètement. Ils ne sont plus dans une sphère supérieure à celle des convictions privées ou des intérêts particuliers. Ils ont à traduire ce qui émane de la société sans que le lieu de l’État ou du pouvoir ou de l’autorité publique soit investi d’une quelconque transcendance par rapport à ce qui se joue dans la société.

En ce qui concerne l’Islam qui représente un défi dans ce défi, on a affaire à un choc historique entre une tradition endogène qui s’est développée dans la longue durée et l’apport d’une population qui arrive tout simplement d’une autre histoire sur d’autres territoires.

Il serait miraculeux qu’on puisse lui demander de changer d’orientation du jour au lendemain quand on sait quelle est la lenteur et la pesanteur d’une évolution de ce genre.

Mais, autant il faut tenir compte de ce contexte pour mesurer l’ampleur de la tâche et la nature du problème, autant il y a aucune raison pour changer les principes républicains. Ce que nous avons à faire c’est d’opérer la conquête des citoyens d’origine musulmane comme la république a opéré la conquête des masses catholiques en son temps ; par des moyens qui ne peuvent d’ailleurs pas être les mêmes car l’histoire a bougé.

J.-L. P. : Bien sûr ! et cela nous procure la transition pour aborder la question de l’école, qui déborde un peu la présente question, mais qui la rencontre aussi.

M. G. : Là aussi on voit bien ce qui a bougé, ce qui s’est déplacé historiquement. Cette vision de la république que j’ai essayé de caractériser très sommairement, - on la comprend quand on en saisit la philosophie -, correspondait à une république de combat. Elle avait des adversaires clairement désignés et elle avait à se définir pratiquement dans un contexte hostile. Elle ne lésinait pas sur l’autorité, cela allait de soi. N’importe quel autre régime d’ailleurs, dans l’autre sens, l’eût fait à sa place. Il y avait une sorte de légitimation évidente de l’autorité publique par sa mission historique, mission à faire valoir en sauvegardant ce délicat équilibre qui a toujours été respecté : la république était autoritaire mais la république exerçait son autorité dans le respect des libertés publiques. Elle s’inscrivait dans le cadre d’un régime de droit où l’appel aux principes du droit pouvait toujours protéger la liberté des individus. Il est néanmoins vrai que ces principes de droit étaient portés par un exercice relativement autoritaire du pouvoir puisqu’il s’agissait d’établir un régime contre des forces hostiles considérables et à faire valoir ces principes contre la contradiction, la contradiction au quotidien.

Cela valait pour l’école dont on comprend sans peine l’éminente mission dont elle est investie dans le cadre de la république à la française. Elle n’est pas d’abord, bien qu’elle le soit inséparablement, l’école des individus, elle est d’abord l’école des citoyens parce qu’il s’agit d’introduire dans la société, des lumières qui ne s’y trouvent pas à l’état spontané, et parce qu’il s’agit précisément de former pour l’avenir des esprits capables d’opérer ce partage entre les convictions singulières, les intérêts privés, et la vraie compréhension rationnelle de ce qu’est un régime de la délibération en commun. Il s’agit pour chaque citoyen de s’identifier à la communauté citoyenne pour définir ce qui est bon et juste pour elle. Cet exercice ne va nullement de soi et il y a tout lieu de penser qu’une formation appropriée est de nature à grandement le faciliter, le rendre plus efficace, plus pertinent.

À l’arrière-plan, il y a l’expérience du dévoiement obscurantiste du suffrage universel, que les républicains ont expérimenté à leurs frais. Les leçons du coup d’État du 2 décembre et du Second Empire sont dans toutes les mémoires. Elles montrent que le suffrage universel n’est pas intrinsèquement rationnel. Cela est presque incompréhensible aujourd’hui, mais ce soupçon est dans tous les esprits en 1880. Cela explique, pour les républicains de ce temps, l’extraordinaire importance d’éclairer les citoyens de l’avenir et d’en faire de vrais citoyens auxquels on pourra confier le suffrage universel sans aucune espèce d’inquiétude quant à son issue, quelle que soit la manière dont ensuite s’opèrent les partages sur les questions du jour.

Là aussi, par rapport à cette philosophie de l’école, les données ont complètement changé : le cadre républicain et démocratique au sens large est devenu la vérité première, pour tout le monde, donc l’idée de former les citoyens spécifiquement pour son exercice paraît incongrue ; la démocratie est devenue, pour ainsi dire, un état naturel de l’humanité. Cela emporte d’immenses conséquences : si c’est un état naturel, elle n’appelle pas une formation ; au contraire l’encadrement ne peut être que limitatif, destiné à orienter ce qui doit être spontané, ce qui doit se manifester comme une liberté naturelle de l’homme. D’une manière générale, toute la philosophie du projet républicain qui trouvait à s’incarner dans l’institution scolaire perd sa nécessité, l’école cesse d’être avant tout le vecteur de l’avenir et de la progressive victoire de la raison humaine, pour devenir le lieu où la communauté des citoyens donne aux individus les moyens de développer leur individualité.

C’est un changement de perspective radical par rapport au programme de l’école républicaine. Il faut mesurer qu’il relève de la dynamique de nos régimes et de la victoire même de la démocratie ; à quoi il faut ajouter tout de suite que ce qu’il y a de plus difficile à gérer pour la démocratie, c’est sa victoire.

La victoire de la démocratie lui créée une gamme de problèmes auxquels on n’avait pas songé, selon un illustre mot de la révolution, problèmes d’un genre très différents de ceux qui se posent à l’époque de la fondation, mais non moins préoccupants. L’appréciation de la situation historique est très importante : elle est le fruit d’une évolution historique qui signe fondamentalement la réussite de la république en France en tant que vecteur de la démocratie, en son sens moderne. Nous sommes devant un développement supplémentaire de l’idée de démocratie dont il faut se féliciter, mais dont il faut simultanément mesurer les défis. Comme il est de règle dans les affaires humaines, toute configuration nouvelle, si heureuse soit-elle, amène avec elle une gamme de questions inédites et qui peuvent être d’une profondeur et d’une difficulté dramatiques. La démocratie triomphante ce n’est pas la fin de l’histoire comme réconciliation générale, c’est l’apparition d’une très grande difficulté à faire vivre cette démocratie installée dans ses principes. Et l’école est au premier rang de ces difficultés puisque, à la limite, dans cette perspective, sa légitimité comme institution est en cause. L’école n’est plus essentiellement une institution, à dire vrai, c’est-à-dire un appareil où se matérialise un principe qui appartient à la chose publique, elle est une institution au sens empirique du mot : un lieu avec

un budget, du personnel. Rien à voir avec l’Institution avec un grand I, c’est tout simplement un appareil qui est destiné à remplir une fonction, mais une fonction dont le sens regarde les individus qui en sont les usagers, ce qui est une complète inversion du sens de cette institution par rapport à sa philosophie d’origine.

Je ne crois pas que cela ait du sens de s‘affirmer républicain en référence à un passé - passé imaginaire ou réel, peu importe : serait-il réel, dans tous les cas il est inopérant pour fonctionner en regard de la situation absolument nouvelle dans laquelle nous nous trouvons, qui n’est pas une situation malheureuse.

C’est une situation à la fois tout à fait heureuse et tout à fait problématique. Elle demande d’actualiser l’esprit de la République.

J.-L. P. : Et c’est cette situation qui explique que, à l’école notamment, le savoir a perdu beaucoup de sa légitimité, comme les maîtres de leur autorité.

M. G. : Ce qui a changé c’est le foyer à partir duquel la mission de l’institution se définit. L’autorité du savoir tenait à une idée de la liberté humaine et du rôle de la raison dans cette liberté. Cet idéal l’a emporté, encore une fois. Mais dès lors que le foyer d’application se déplace, ce qui compte ce n’est pas le savoir en lui-même c’est ce qu’un individu particulier peut avoir envie de faire des savoirs, dans le cadre de ce qu’on peut raisonnablement considérer comme la maximisation de son individualité, maximisation dont en dernier ressort il est juge. Cela ne facilite pas les choses pour l’institution parce que l’individu peut toujours dire : “d’après vous c’est très bon pour moi mais d’après moi ça ne m’intéresse pas !“. Que peut-on objecter à cela, dès lors que la légitimité est passée du côté de cet individu ?

J.-L. P. : Ce qui expliquerait, pour prendre les choses vraiment par le petit côté de la lorgnette, que précisément les programmes scolaires, l’enseignement soient souvent devenus une sorte d’enseignement à la carte qui aurait perdu, semble-t-il, du moins le dit-on souvent, sa cohérence.

M. G. : Oui. Mais c’est parce que, quelle que soit la cohérence qu’on mettra du côté des autorités à quelque niveau que ce soit de ces programmes, ils devront fonctionner en fonction d’une demande qui est l’arbitre ultime de leur validité. C’est une situation extraordinairement nouvelle et extraordinairement problématique. Le succès de la démocratie se traduit par une crise de la démocratie dont ce déplacement de légitimité est le foyer.

Cette crise se manifeste sous la forme d’une contradiction : les individus veulent être éduqués, ils sont demandeurs d’éducation mais ils tendent à en récuser les modalités en pratique.

Jamais la société n’a autant réclamé d’éducation. On n’a pas affaire à un rejet ou à un refus mais à une demande qui, simplement, se déploie sous le signe d’une individualisation qui la rend intraitable, ou à peu près, en tout cas qui rend sa satisfaction extrêmement difficile. Il faut partir du développement de cette contradiction et travailler à son dépassement. Elle est portée par une évolution puissante dont il s’agit de saisir les tenants et les aboutissants avec précision si l’on veut éclairer avec pertinence cette demande antinomique. D’autant que cette demande offre une immense confusion dans la manière dont elle se présente au quotidien ; on n’a pas affaire à un phénomène bien formé, clair, mais au contraire à une sorte d’oscillation entre des termes mal fixés face auxquels il est souvent difficile de se situer. Une telle tâche suppose l’entrée dans une république démocratique plus réflexive par rapport à ce qu’elle était, où ces questions sont débattues de front et éclairées par la discussion publique. Je crois que la seule manière de sortir de ces contradictions et de les dépasser est de mettre le problème dans le débat public, en le posant dans ses véritables termes. Les issues sont civiques, pas techniques.

On n’avancera pas vers elles en restant entre professionnels.

J.-L. P. : Il s’agit donc de les dépasser démocratiquement.

M. G. : On ne peut les dépasser que démocratiquement ! Vouloir les dépasser autoritairement ne me semblerait pas une voie promise au succès. Par philosophie, je la désapprouverais mais je crois qu’elle serait surtout inefficace.

J.-L. P. : Et dans ces conditions, et c’est la dernière grande question que je voulais vous poser, est-ce que c’est le débat public qui constitue le lien social lui-même, s’il en reste encore un, ou en reste-t-il encore un ?

M. G. : Non seulement je crois qu’il existe encore un lien social - là-dessus, je serai catégorique - mais je crois qu’il est d’une certaine façon plus puissant qu’il n’a jamais été. Nous sommes dans les sociétés probablement les plus intégrées, les plus cohérentes qu’il y ait jamais eu à la surface du globe et dans l’histoire humaine.

Le résultat en est par exemple, c’est un des bons exemples, que par un renversement significatif, une insécurité, relative au regard du passé, devient un scandale absolu pour les citoyens.

C’est un signe de ce que l’idéal d’un lien social pacifié est plus puissant que jamais. Toute forme de violence apparaît comme insupportable ; cette intolérance à l’insécurité est en fait un très puissant signe d’intégration sociale.

Elle procède de l’aspiration à une intégration sociale encore plus prononcée.

Maintenant, autant le lien social perdure, autant il est vrai aussi qu’il a changé profondément de mode d'administration, en liaison avec toutes les évolutions dont nous avons parlé. Il s’ensuit une autre contradiction, l’une des principales auxquelles tant la république que l’institution scolaire sont aux prises. Il faut détailler un peu ce point.

En simplifiant à l’extrême, on peut opposer deux âges du lien social : un âge religieux et traditionnel, un âge républicain et rationnel. Le lien social a été supposé très longtemps reposer sur la coutume, sur les moeurs partagées, l’accord des façons de faire et de penser. La religion y jouait un rôle éminent mais pas exclusif, il passait également par quantité de traditions possédant leur légitimité intrinsèque due au temps et à l’usage. À cela la république a substitué l’idée d’un lien social rationnel, fondé sur l’accord délibéré des personnes. Dans ce cadre, la politique, le suffrage, la loi, la représentation étaient des producteurs de lien éminents, par opposition, justement, à une coutume reçue selon le préjugé et souvent associé à un certain obscurantisme. L’âge d’or de la république est le moment où elle se présente forte de ce changement dans le statut du lien social. L’école est le lieu où l’on apprend, par rapport à une socialisation purement spontanée et coutumière, les raisons qui nous lient à nos semblables ; d’où l’importance extrême de la morale, d’où l’importance extrême de l’instruction civique qui nous apprend en conscience les règles raisonnables à tout le moins, rationnelles s’il se peut, du cadre collectif dans lequel nous évoluons.

Or, au XXème siècle nous avons vécu une révolution qui a mis à mal cette idée du lien social : la révolution de l’État. Le XXème siècle est, en gros, le siècle où l’importance de l’État double.

Entre le début et la fin du siècle, il s’opère une transformation majeure de la vie sociale, fondée sur l’attribution aux appareils publics d’un rôle de fabrication de la cohésion collective dans toutes ses dimensions. Ce rôle ce repère à l’omniprésence de la réglementation, mais il consiste aussi dans l’aménagement d’infrastructures, dans un travail de prévision et de régulation.

Il est créateur d’un milieu qui est devenu notre élément naturel. Aucun d’entre nous aujourd’hui ne serait capable de vivre dans la société d’il y a cent vingt ans. Nous ne sommes pas équipés psychologiquement et même physiquement, dans une certaine mesure, pour ce faire. Nous ne saurions littéralement pas nous conduire, tant nous sommes fabriqués par cet appareil public qui n’est plus l’État de répression, de coercition, d’autorité auquel nous étions habitués mais un État d’infrastructure qui construit la cohésion collective par une intervention de tous les moments et dans le plus petit détail. Du même coup, fait majeur, tout ce qui faisait appel chez les individus à leur mobilisation volontaire dans la production du lien avec leurs pareils, notamment sous le signe de la règle morale, notamment sous le signe du respect de certaines règles civiques, s’affaiblit. Ce n’est plus aux individus qu’il est demandé de produire le lien social, et c’est là une véritable révolution anthropologique : aucune société dans l’histoire n’a jamais fonctionné de la sorte. Elle est la source de la liberté considérable gagnée par les individus par rapport à tout ce qui était règle obligatoire.

Seulement cette transformation a une contrepartie à laquelle là aussi on n’avait pas songé, mais qu’il faut assumer : une irresponsabilisation de ces individus dont la forme banale est l’incivilité, la déformalisation complète des rapports avec les autres dont chacun de nous peut constater qu’elle ne fait pas un mode idéal de coexistence. Mais cette déresponsabilisation va bien plus profond : elle s’accompagne d’une perte psychique, la perte du sentiment d’être en société et de devoir quelque chose à la société dont on est membre. Nous arrivons au moment où les effets de ce phénomène commencent à se sentir à plein. Sa prise en considération me semble une urgence civique absolue.

Le phénomène est très mal compris, il n’est pas élucidé dans ses racines, il donne lieu à des discours irresponsables et à des réactions pathologiques. Il suppose là encore un travail de la démocratie sur elle-même. Cette déresponsabilisation des individus devient intenable à un certain degré.

La seule incivilité, sans aller plus loin et sans prendre des faits plus graves, est insupportable et, plus grave, met en question l’existence même d’une société répondant aux normes démocratiques.

Il n’est pas écrit dans les constitutions démocratiques qu’il est nécessaire d’être poli envers ses voisins mais on voit bien que dans une société où tout le monde est impoli avec ses voisins, quelque chose de l’esprit de la démocratie est atteint.

Voilà un autre aspect du développement historique des démocraties qui oblige à reconsidérer leurs principes de base. Nous ne reviendrons pas sur une partie de ces transformations, mais cela ne veut pas dire que nous avons à nous accommoder purement et simplement de leur existence. Nous avons à les aménager, comme le reste.

En fait, nous retrouvons, chose étrange, les ressources et les nécessités d’un nouveau volontarisme parce que cet aménagement, il faut vraiment le vouloir.

Il s’agit de rétablir un équilibre, complexe et délicat, entre l’action délibérée des hommes et l’automaticité du lien social. Celle-ci est là, bien là, et fonctionne remarquablement bien dans nos sociétés. Nos sociétés ont une capacité de tout supporter qui m’émerveille chaque jour, mais elle ne suffit pas. L’idée, selon laquelle on peut entièrement laisser faire et que Dieu retrouvera les siens, est une idée folle.

C’est la folie du libéralisme contemporain, à mes yeux - je sais que beaucoup sont d’un autre avis. Il y une part d’automaticité du lien social, il y a une part d’action délibérée des individus, dont il faut trouver le point d’équilibre, ce qui n’est certes pas simple. Il s’ouvre devant nous une tâche historique entièrement nouvelle où l’éducation, l’instruction, la socialisation, toute la gamme retrouvent une nécessité d’un genre inédit. Encore faut-il en avoir conscience ! Or nous sommes dans un moment d’un immense malaise : nombreux sont ceux qui sentent qu’il y a quelque chose qui ne marche pas, mais en même temps la conscience du problème n’est pas du tout formée, il y a même une extraordinaire difficulté à l’appréhender.

J.-L. P. : Et c’est précisément au moment où on aurait le plus besoin d’éducation, d’instruction, bref de l’école que celle-ci voit sa légitimité être le plus mise en question !

M. G. : Il faut bien s’entendre sur ce qu’on entend par “la mise en question de la légitimité de l’école“. Personnellement, je n’emploierais pas cette expression.

D’une certaine manière l’école est plus que jamais légitime, la demande d’éducation est forte. Même les libéraux les plus délirants ne disent pas : “il n’y a qu’à supprimer ces écoles qui ne servent à rien“, au contraire il y a une intégration en profondeur de l’idée d’éducation. Ce qui est problématique, c’est l’administration de ces lumières scolaires. C’est autre chose. Je pense qu’il faut traiter la question comme une contradiction. Notre société est déchirée entre un très fort appel à l’éducation et un très fort refus des conditions qui permettent cette éducation. C’est une contradiction, ce qui veut dire que l’école vit très difficilement mais qu’en même temps elle est très fortement ancrée. La nuance, je crois, est capitale.

J.-L. P. : Cela rend le problème encore plus grave !

M. G. : Plus difficile.

J.-L. P. : Assurément, mais il est très clairement posé.

M. G. : C’est la même chose pour le fonctionnement social en général. Il y a une immense demande de civilité dont la demande de sécurité que nous avons évoquée est la traduction principale, mais non la seule, loin s’en faut, et, en même temps une sorte d’incompréhension profonde des raisons de la situation qui crée l’incivilité et l’insécurité.

Cela veut dire que nous sommes devant un nouveau combat des lumières au sens exact du terme : c’est-à-dire faire comprendre un problème qui est nouveau, qui est lié au développement de la démocratie et de la république mais qui suppose de redéfinir profondément leurs conditions de possibilité, ou et leurs modalités d’exercice.

C’est là où effectivement l’école est destinée à une mission essentielle. C’est pourquoi si je suis assez pessimiste à court terme sur les chances de rétablir un fonctionnement satisfaisant de l’institution, je suis assez optimiste dans le moyen terme sur la possibilité de redonner à l’école sa fonction centrale dans notre société politique.

J.-L. P. : Pouvez-vous nous en dire plus sur le débat public qui avait été évoqué ?

M. G. : Sur des sujets comme ceux-là, on n’est plus dans une affaire professionnelle entre spécialistes de l’éducation ou de la politique. Ce qui fait difficulté dans l’école n’est pas d’ordre technique, ce n’est pas une question de méthode. Il faut être informé de ces questions mais, plus profondément, on a affaire à des questions de principe qui ne peuvent être traitées qu’au niveau le plus élevé du débat public.

Elles engagent la forme même de nos sociétés et la manière dont on peut se représenter leur avenir. Mettre ces questions sur la place publique me semble la seule manière d’en sortir.

J.-L. P. : Oui, le fait de les poser est déjà une manière de maitriser ces questions.

M. G. : Non pas de les maîtriser, mais de poser les conditions pour les rendre maîtrisables. Parce que les maîtriser, en pratique, c’est encore autre chose…

J.-L. P. : Il faut les identifier.

M. G. : C’est de cela, en effet, dont nous souffrons d’abord : nous les identifions très mal.

J.-L. P. : À propos de ce que vous disiez des phénomènes d’incivilité ou d’insécurité : je crois qu’on les approche ordinairement comme des problèmes disons, de police, comme des problèmes isolés. Or ce qui est intéressant dans ce que vous avez dit c’est qu’ils s’intègrent parfaitement à ce qu’est devenue la société démocratique ou républicaine d’aujourd’hui dans nos pays. Ce qu’il faudrait savoir - ce n’est pas une objection, c’est une question -, c’est si ce que vous dîtes, qui semble évidemment s’appuyer sur ce qui se passe en France, est spécifique de la république. Ne voit-on pas des choses comparables, alors qu’elles n’ont pas la même histoire républicaine, dans ce qu’on appelle les démocraties européennes ?

M. G. : En effet. Ce que vous dites permet de préciser un point important. Ces phénomènes ne sont pas propres à la France, mais nous les ressentons plus fortement en France qu’ailleurs. Étant donné ce qu’a été l’histoire de France et la place de l’épisode républicain dans notre histoire, nous tombons de très haut.

J.-L. P. : Et un peu plus tard peut-être…

M. G. : Sans doute ! La surprise est grande, elle est plus grande qu’ailleurs et c’est ce qui fait que ces questions sont plus agitées qu’ailleurs aussi. Ces phénomènes se retrouvent dans toutes les sociétés industrielles, démocratiques, développées. Il y a, de ce point de vue, une parfaite homogénéité de fond entre toutes les sociétés européennes, mais de très grandes différences dans les chemins qui ont conduit à la démocratie, à l’industrie, à l’individualisation et, du coup, aussi de très grandes différences dans la perception de ces problèmes. Ils sont reçus comme dramatiques en France parce que l’effet de contraste est très grand. La France a été une sorte d’avant-garde en Europe. En 1880, la république est un identifiant fort puisqu’il y a sur le continent européen deux républiques : la grande, la France et la petite, la Suisse, ce sont les seules. Il y a la grande république américaine de l’autre côté de l’Atlantique. République veut dire aussi cette exception politique, le seul grand État, la seule grande puissance, qui soit une république. Cette exception n’en est plus une mais elle a suffisamment marqué les esprits pour que la grande évolution, d’après 45 - le décollage industriel, la modernisation économique, la convergence européenne - représente un véritable choc pour l’opinion française par ses résultats.

Cette transformation accélérée a rendu très sensible le passage de la république à la démocratie. La république ajoutait un plus et une particularité à la démocratie. Nous sommes désormais dans la démocratie de tout le monde et nous mesurons le chemin impressionnant que nous avons parcouru par rapport à la république des origines. C’est une chance, à mes yeux, parce que cela donne une capacité de recul par rapport au chemin parcouru et peut-être de mieux répondre aux défis qui nous sont lancés.

J.-L. P. : En somme l’idée de république peut faire fonction, à condition d’être bien comprise, bien articulée à la réalité, d’une sorte d’idée régulatrice.

M. G. : Toute la difficulté est de l’actualiser et de lui retirer l’aspect passéiste qui la disqualifie immédiatement : “oui, c’était très bien, mais les choses ne sont plus les mêmes“. On ne peut rien objecter à cela. Il faut dégager l’idée de République de ses incarnations historiques. C’est la condition pour lui redonner une portée opératoire. La démocratie de l’avenir devra incorporer une certaine dose de république pour être vraiment démocratique.

J.-L. P. : Là il me semble que c’est le mot de la fin.