Le budget, la nomination de Dominique Strauss-Kahn et l’avenir de la gauche

C’est arrivé cette semaine,

Europe 1, 29/09/07

Gauchet: Le budget, DSK au FMI et l'avenir du PS

Dominique Souchier : Marcel Gauchet bonjour.

Marcel Gauchet : Bonjour.

D.S : Rigueur, austérité, faillite. Trois mots que nous venons d’entendre pour ouvrir la réflexion sur cette semaine. Vous êtes philosophe. Est-ce que ce n’est pas ça précisément la politique : l’art de trouver les mots, de les choisir ?

M.G. : C’est une conception de la politique qui a l’air de faire son chemin et qui a plutôt le vent en poupe. Je crois que les mots ne trompent personne et que cette bataille autour de petits mots dissimule la grande incertitude pour finir où nous laisse la méthode de gouvernement de Nicolas Sarkozy. Elle est faîte pour éliminer l’anxiété suscitée par l’incertitude sur les intentions du pouvoir mais elle les ramène d’une autre façon. La politique économique de la France est déterminée entre autre chose par une conjoncture internationale à laquelle Sarkozy, avec toute la bonne volonté qu’il peut y mettre, ne peut rien.

D.S. : Mais vous lui contestez ce qu’il vient de dire : « Je n’ai pas pour habitude de raconter des histoires aux Français » ou est-ce que vous lui reconnaissez au moins cette qualité là, la franchise ?

M.G. : Je lui reconnaît la franchise. Le pire est que j’ai peur qu’il ait raison. Il n’y a pas de plan d’austérité. Mais ça ne veut pas dire qu’on ne soit pas capable dans six mois, dans un an, d’en improviser un dans la précipitation. Ce sont deux choses qui n’ont rien à voir malheureusement.

D.S. : Depuis quatre mois qu’il est au pouvoir, qu’est-ce qui vous frappe le plus dans sa manière de présider ou de diriger ?

M.G. : Ce qui est le plus frappant, à l’évidence, c’est la volonté, en rupture avec le système Chirac, d’assumer la responsabilité de la politique conduite par le gouvernement. On avait une présidence qui se défaussait de toute responsabilité tout en menant le jeu dans la coulisse. La rupture sarkozienne, là-dessus il y a vraiment rupture- c’est le président qui se met au premier plan et qui, par conséquent, assume la conduite de la politique. Est-ce que ça viendra dans la constitution, explicitement ou pas ? On le saura dans quelques mois mais en tout cas son attitude est très nette et il n’est pas très difficile de comprendre qu’elle soit préférée par les Français par rapport à son prédécesseur.

D.S. : Dans Le Débat vous dîtes qu’il dirige comme un chef d’entreprise. C’est bien ça ?

M.G. : Cela correspond certainement à une volonté de responsabiliser qu’on ne peut que saluer. C’est très dangereux si l’on considère que conduire un pays est très différent de diriger une entreprise. Une entreprise a un but clair : faire des profits de manière à assurer son développement. Est-ce que dans le cas d’un pays on se trouve dans une situation analogue ? La santé, même économique, d’un pays se mesure difficilement dans le rapport gain/perte. C’est de bien autre chose qu’il s’agit et je ne suis pas sûr que le style soit adéquate.

D.S. : Est-ce que tout faire soit-même ou en tout cas tout inspirer n’est pas le plus sûr moyen de l’efficacité et de la cohérence ?

M.G. : Je ne crois pas. Sans doute dans un certain nombre de domaines mais en politique je crois que ce qui est capital c’est de disposer d’une équipe à la fois faite d’individualités fortes qui assument chacune la responsabilité de leur domaine et capables de rentrer dans une direction d’ensemble. Nous avons la direction d’ensemble mais nous n’avons pas l’équipe.

D.S. : Parlons de ce qui fait la Une ce matin. Dans votre revue Le Débat, je vais citer précisément ce que vous dîtes, vous, de la nomination de Dominique Strauss-Kahn à la tête du FMI : « Elle pourrait devenir le symbole de la dissolution du socialisme français dans la mondialisation ».[1] Diable !

M.G. : Cette nomination salue le talent personnel de Dominique Strauss-Kahn. Rien à dire là-dessus. Il le mérite. Mais ce qui est intéressant c’est de voir ce qu’elle représente comme aveux d’échec sur le plan français. Evidemment, comme dans le cas de toute ouverture sarkozienne, si Strauss-Kahn fait ce choix c’est qu’il pense qu’il n’a aucun avenir à l’intérieur du socialisme français et de la politique française.

D.S. : Si, après avoir été nommé directeur général du FMI, il se présente à l’élection présidentielle et il est élu, il faudra revoir votre prédiction.

M.G. : J’en prends le risque et je l’assume. Je ne suis pas très inquiet sur le résultat. Mais c’est sur un autre plan qu’il faut se situer. C’est celui de la manière dont le parti socialiste, la gauche française en général, se situe à l’intérieur de la mondialisation avec un double discours et un grand écart permanent. D’un côté, antilibéralisme de façade, de l’autre côté on joue le jeu d’institutions dont chacun sait que la politique pose un gros problème. Sur le FMI, dieu sait qu’il y a beaucoup à dire. Naturellement, Strauss-Kahn ne va pas manquer de nous dire qu’il est là justement pour changer les choses. Autre pari que je prends, c’est qu’il ne changera rien et que, bel et bien, il joue un jeu…

D.S. : Pourquoi il ne changera rien ? Il affirme vouloir que le FMI soit, par exemple, plus représentatif des pays en voie de développement. Il peut changer là des choses.

M.G. : Oui. Qu’est-ce que ça changera à la politique du FMI ? Rien du tout. C’est des changements cosmétiques. Ce qui compte c’est, pour résumer les choses dans une expression caricaturale, le « consensus de Washington » dont le FMI est un fidèle exécutant. Là-dessus, je suis tranquille, il ne changera rien. A l’arrivée, qu’est-ce qui reste de distinct pour une politique de gauche - une politique socialiste- par rapport à cette ligne générale des institutions. En domestique, on dit qu’on fait autre chose, en pratique on fait la même chose. C’est le grand écart dans lequel, en effet, je pense, l’identité du socialisme à la française menace de se dissoudre.

D.S. : Si c’est pas Dominique Strauss-Kahn, qui vous voyez, de votre point de vue de philosophe, incarner la gauche de demain ?

M.G. : Et bien je n’en vois pas. J’avoue que l’avenir de la gauche dans ce pays me paraît suspendu à un renouvellement des personnes extrêmement profond où toute la génération – et je m’empresse de dire y compris les quadragénaires qui ne sont que les clones des précédents et qui vont essayer d’occuper les postes – serait remplacée par des gens qui ont fait le travail que le parti socialiste s’est épargné depuis vingt ans.

D.S. : Dans le numéro d’octobre, ce que vous dîtes à propos de Ségolène Royal- « la politique est un métier »[2] - n’est guère plus aimable que ce qu’écrit Lionel Jospin mais vous, vous ne diriez pas comme lui que la raison fondamentale de l’échec de Ségolène Royal réside en elle-même. Pour vous, c’est plus grave.

M.G. : C’est beaucoup plus grave. C’est l’échec d’un parti aussi. C’est l’échec d’une façon de faire de la politique. C’est l’échec d’un héritage non assumé qui ne fonctionne plus. Donc, je crois que Ségolène Royal a sa part de responsabilité mais il me semble que Lionel Jospin est trop rapide sur les causes plus générales. C’est la technique du bouc-émissaire. Tout se reporte sur la pauvre Ségolène. Hélas, je crois qu’un examen de conscience plus général s’imposerait.

D.S. : Merci Marcel Gauchet.


[1] Marcel Gauchet, Alain-Gérard Slama, « Droite, gauche : la nouvelle donne », Le Débat, n°146, sept-oct 2007.

[2] Ibidem.