Sarkozy, c’est la dernière cartouche

Interview publiée par Le Figaro Magazine,

Samedi 17 novembre 2007

Philosophe et historien, Marcel Gauchet publie les deux premiers volumes d’une quadrilogie sur la démocratie. Cette somme est le fruit de trente ans de réflexion sur la société contemporaine. Entretien.

Figaro Magazine : Vous allez être associé à la rédaction d’un Livre Blanc sur la réforme de la fonction publique. Qu’en attendez-vous ?

Marcel Gauchet : Si j’ai accepté de participer à cette mission, c’est que l’enjeu me semble important : c’était l’occasion de comprendre de l’intérieur les difficultés de la tâche. On ne peut faire de réformes, à fortiori quand elles sont indispensables et touchent des secteurs essentiels, que dans la conformité au génie historique d’un peuple. Or, la France s’est construite par l’Etat : c’est le cœur de l’identité politique française. Qu’il y ait lieu de réformer la fonction publique, c’est évident : avoir plus de 5 millions de personnes qui sont couvertes par le statut de fonctionnaire, c’est une aberration. Mais les mêmes qui s’en indignent à droite sont souvent des élus locaux qui recrutent à tour de bras des fonctionnaires territoriaux ! Réformer la fonction publique, oui, c’est nécessaire. Mais compte tenu de ce qu’a été le rôle de l’Etat dans la construction du pays, il faut y toucher « d’une main tremblante », comme le disait le président de la Cour de cassation. Ce ne sera pas simple, et je ne suis pas très optimiste sur les résultats.

La notion de bien commun a-t-elle encore un sens aujourd’hui ?

Ce qui remplace le bien commun, c’est la croissance. Cette notion va bien au-delà de l’économie : elle désigne des possibilités supplémentaires pour les individus et la collectivité d’aller vers un mieux-être. Nos sociétés tendent vers une espèce de prospérité globale, mais le processus par lequel on donne forme à ce bien commun appelé croissance nous échappe. Le phénomène renvoie à une difficulté encore plus grande, qui est la difficulté de nos sociétés d’individus de se représenter comme des sociétés. Aujourd’hui, l’autonomisation des personnes, des individus et des intérêts rend difficile la représentation du corps politique : les parties sont partout, et l’ensemble nulle part. C’est l’immense malaise des démocraties.